Le nom de cet ouvrage renvoie à l’idée du monde comme une scène sur laquelle les êtres humains jouent un rôle assigné, comme dans la pièce de Pedro Calderon de la Barca, Le Grand Théâtre du Monde (1645), où le poète appelle sur la scène le Riche, le Roi, le Paysan, le Mendiant, la Beauté, la Prudence et l’Enfant. Dans cette allégorie baroque les gens sont prisonniers de leur rôle, ils sont leur rôle. Les personnages de Monica Mariniello, au contraire, révèlent qui ils sont : sur la scène du monde, le sculpteur appelle des personnes hors du rôle, des âmes nues. Elle donne en quelques traits le « qui », comme dirait Hannah Arendt, d’une humanité plurielle, à la fois tragique et capable de bonheur.
Le matériau s’impose à l’attention, se montre, n’est pas transparent. La terre glaise n’est pas un simple support. Cette argile plastique et composite, où les couleurs (blanc, bleu, rouge, gris) apparaissent au hasard sans que l’artiste essaye d’en contrôler la disposition et créent des tâches, des ombres, des irrégularités confèrent à chaque visage une présence singulière. Dans le monde des immatériaux, Monica Mariniello n’hésite pas à privilégier la matière, la matière des corps qui souffrent, exultent, attendent, se défont, prennent la place, chargés d’histoire et de cultures. Son regard sur les gens qu’elle rencontre (dans le métro, sur la rue, au marché etc.) sait déjà que l’argile pourra capter et accueillir l’événement de leur corps.
« Quand on travaille, on est forcément dans une solitude absolue » écrit Gilles Deleuze et il poursuit en expliquant qu’il s’agit d’une solitude extrêmement peuplée. « Non pas peuplée de rêves, de fantasmes ni de projets, mais de rencontres. (…) On rencontre des gens (et parfois sans les connaître ni les avoir jamais vus), mais aussi bien des mouvements, des idées, des événements, des entités. (…) Rencontrer, c’est trouver, c’est capturer, c’est voler, mais il n’y a pas de méthode pour trouver, rien qu’une longue préparation. Voler c’est le contraire de plagier, de copier, d’imiter ou de faire comme. (…) Trouver, rencontrer, voler, au lieu de régler, reconnaître et juger. » (Dialogues, 13-15) Monica Mariniello rencontre ses personnages dans la vie, et à nouveau dans la glaise, elle n’imite pas la réalité avec la glaise, elle ne représente pas le monde en lui imposant une mesure, en le jugeant, elle le laisse apparaître dans son asymétrie, dans son imperfection, dans son devenir. Elle vole des instants, des émotions intenses, des faiblesses attachantes, des sourires, des regards, des grimaces, des forces inavouées et invite le spectateur à faire autant, dans une mise en abîme du devenir autre.
Ces têtes sur une tige, une tige subtile qui porte une matière pesante, viennent vers nous bouleversant notre idée de l’équilibre, suggérant à la fois la fragilité des affaires humaines et la force de la présence au monde. Ce sont des présences : des hommes, des femmes, des hommes efféminés et des femmes masculines, des vieux, des gens sans âge et sans forme…. qui nous rappellent que la vie est, tout simplement : ni belle, ni laide, elle est…. à vivre, avec compassion, écoute, prêts à se perdre dans une rencontre, à ne pas juger, à accueillir, à ne pas vouloir à tout prix reconnaître.
Silvestra Mariniello
À propos
Monica MARINIELLO est née à Sienne en Toscane.
Elle étudie le dessin à l’Académie de Florence, puis la sculpture aux Beaux-Arts de Paris entre 1980 et 1986.
À la fin des années 80, elle expérimente un premier langage formel, dans un travail subtil sur le métal récupéré et recomposé. Les «Portes du temps», «Le jardin aux mille œufs» en sont les plus émouvants exemples.
Elle a été lauréate du prix Renoir en 1995. C’est à partir de cette période qu’apparaissent les terres cuites, puis, vers 2000, les inclusions travaillées de photographies.
Sa culture italienne se distille malgré elle dans son travail. Une certaine théâtralité accompagnée d’un humour voilé et un peu grinçant se mélange à une recherche d’harmonie et équilibre.
Qu’ils soient hommes ou animaux, l’âme se doit d’être là, rendant habitée la matière, rendant le regard présent et la nature de l’être lisible.
Elle choisit donc la terre pour s’exprimer. Ce matériau s’impose à l’attention, ce n’est pas un simple support. Cette argile, où les couleurs apparaissent au hasard sans que l’artiste essaye d’en contrôler la disposition, créent des tâches, des ombres, des irrégularités et confèrent à chaque visage une présence singulière.
Elle privilégie la matière, la matière des corps qui souffrent, exultent, attendent, se défont, prennent la place, chargés d’histoire et de cultures.
Monica Mariniello rencontre ses personnages dans la vie, et à nouveau dans la glaise. Elle n’imite pas la réalité avec la terre, elle ne représente pas le monde en lui imposant une mesure, en le jugeant, mais le laisse apparaître dans son asymétrie, dans son imperfection, dans son devenir. Elle vole des instants, des émotions intenses, des faiblesses attachantes, des sourires, des regards, des grimaces, des forces inavouées et invite le spectateur à faire autant, dans une mise en abîme du devenir autre.
Ces têtes sur tige viennent vers nous, bouleversant notre idée de l’équilibre, suggérant à la fois la fragilité des affaires humaines et la force de la présence au monde. Ce sont des présences qui nous rappellent que la vie est ni belle, ni laide mais simplement à vivre, avec compassion, écoute, prêt à se perdre dans une rencontre, à ne pas juger mais à accueillir.